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Si loin si proche

© Renaud Vezin

Théâtre musical écrit, joué, chanté et mis en scène par Abdelwaheb Sefsaf, assisté de Marion Guerrero – Compagnie Nomade in France – Maison des Métallos/Focus récits de vie.

L’action se passe dans les années 1970/80, une famille immigrée en France rêve d’un retour dans son pays, l’Algérie. L’ambivalence entre les deux pays crée des tensions intérieures mais aussi des rires dans ce récit croisé dit et chanté par Abdelwaheb Sefsaf. Le fils de la famille, Wahid, part se marier au bled, les parents et leurs dix enfants embarquent dans une estafette trop petite, le voyage est pénible et cocasse. Le miroir aux alouettes d’un possible retour les taraude, on les suit dans leur traversée de plus de trois mille kilomètres. Le constat, réaliste et désenchanteur, montre qu’ils ne sont plus vraiment d’Algérie mais n’ose se projeter en France et que l’appartenance et la nostalgie sont toujours au rendez-vous. Le réveil brutal face à la conscription mélange encore un peu plus les identités, un an en France ou deux en Algérie…

Le récit-concert auquel Abdelwaheb Sefsaf convie le spectateur s’inscrit entre théâtre et récital, entre Algérie et France, entre passé et futur, entre je t’aime et je te hais. L’auteur, huitième de la famille, raconte son enfance heureuse, et oscille entre légèreté et gravité, l’épique et le particulier dans le contexte banlieue des années soixante-dix qu’il a connu avec les langues, les modes, les musiques et les espérances de chacun.

La scénographie représente un crâne de métal s’ouvrant en deux et laissant passer les idées. Des écritures calligraphiques le recouvre, labyrinthes de la pensée et poème de Mahmoud Darwich, La Mort n° 18 : « L’oliveraie était verte, autrefois… Mon cœur était un oiseau bleu, autrefois… Je te donnerai tout, l’ombre et la lumière… L’oliveraie était toujours verte, était, mon amour. Cinquante victimes l’ont changée en bassin rouge au couchant… » et les tombes du début du spectacle se transforment en une collection de valises. Accompagné de deux musiciens magnifiques, Georges Baux aux claviers, guitare et chœur et Nestor Kéa, live-machine, guitare, theremin et choeur, le chanteur-acteur aux thèmes et mélodies lancinantes remplit l’espace avec fluidité et talent. Il donne le récit plein d’humour et de variations de son expérience et de sa vie, sur le sujet on ne peut plus grave et d’actualité, du racisme et de l’immigration.

En 2010 Abdelwaheb Sefsaf fonde la Cie Nomade In France avec pour mission un travail autour des écritures contemporaines et la rencontre entre théâtre et musique. Formé à l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Saint-Étienne, il avait d’abord fondé et dirigé la Compagnie Anonyme. En 1999 il s’était fait connaître sur la scène musicale en tant que leader du groupe Dezoriental qui avait reçu en 2004 le Coup de cœur de la chanson française de l’Académie Charles Cros. Parallèlement à la musique, Abdelwaheb Sefsaf mène sa carrière de metteur en scène et de comédien, il a entre autres travaillé avec Jacques Nichet, Claudia Stavisky et Claude Brozzoni. Sa rencontre avec Georges Baux, réalisateur, arrangeur et compositeur notamment pour Bernard Lavilliers, fut décisive dans le parcours qu’il mène entre théâtre et musique.

Derrière le rire, les larmes, sur la déclinaison du verbe partir, avec l’urgence de l’initiation vers ce qui fut longtemps un rêve qui aidait à tenir, ou une belle utopie.

Brigitte Rémer, le 27 décembre 2018

Avec Abdelwaheb Sefsaf, comédien et chanteur – Georges Baux, claviers, guitare et chœur – Nestor Kéa, live-machine, guitare, theremin et choeur – musique Aligator, Baux/Sefsaf/Kéa –  direction musicale Georges Baux – scénographie Souad Sefsaf – création lumière et vidéo Alexandre Juzdzewski – régie son Pierrick Arnaud – Le texte est publié aux éditions Lansman.

Du 18 au 23 décembre 2018, Maison des Métallos, 94 rue Jean-Pierre Timbaud, 75011. Paris – Métro : Couronnes – Tél. : 01 47 00 25 20 – Site : www.maisondesmetallos.paris – En tournée :   2 février 2019, Théâtre Municipal, Tarare (69) – 7 et 8 février 2019, Comédie de Saint-Etienne/Salle Albert Camus à Chambon-Feugerolles (42) – 8 au 10 mars 2019, Théâtre de Privas (07) – 5 avril 2019, Théâtre Sarah Bernhardt, Goussainville (95).

F(l)ammes

@ François Louis Athenas

Texte et mise en scène Ahmed Madani – Création théâtrale partagée – Focus femmes ! Madani Compagnie.

Depuis 1985 Ahmed Madani s’entoure de collectifs d’artistes et fouille dans les cultures urbaines. Il transforme la réalité en spectacle, au plus près des faits de société et s’intéresse particulièrement aux français d’origine étrangère, témoignant de leurs perceptions et regards sur la vie. Directeur du Centre dramatique de l’Océan Indien de 2003 à 2007 il reprend ses activités et sa démarche au sein de la Madani Compagnie, à son retour et monte différents spectacles – dont Le théâtre de l’amante anglaise de Marguerite Duras – qui tournent en France et à l’étranger. Depuis 2011 Ahmed Madani développe un projet intitulé Face à leur Destin, une aventure artistique menée avec les jeunes des quartiers populaires du Val Fourré. Illumination(s) en 2012 en est le premier volet, versant masculin de F(l)ammes, présenté aujourd’hui et réalisé avec de jeunes femmes vivant dans des zones urbaines sensibles. Le texte s’est écrit au fil des répétitions.

Neuf chaises en fond de scène, face au public. Neuf jeunes femmes se lèvent tour à tour et se présentent pour déposer leur récit, morceau de leur biographie transcendée par la distance de l’humour, de l’auto dérision et de la poésie. L’énergie qu’elles dégagent, la force de vie qui les habite, sont une belle leçon. Côté public, même si l’on sait : les brimades, les incidents, les insultes, la difficulté d’être autre et de s’intégrer, le sentir à travers ces jeunes femmes qui, droit devant et avec simplicité, le disent, provoque une grande émotion. Elles sont la pluralité des cultures venant d’Algérie, de Guinée, d’Haïti et de tous les pays du monde, et font référence à Claude Lévi-Strauss dénonçant l’ethnocentrisme dans son ouvrage Race et Histoire, publié en 1952.

« N’aie jamais honte de là d’où tu viens » disent les pères à leurs filles et les filles à leurs pères et mères. Anissa, Lorène, Dana, Chirine, Maurine, Ludivine, Haby, Inès et Yasmina parlent en leur nom propre, du père, forestier en Guinée Conakry et « de la forêt qui est en nous », de celui qui fut ouvrier chez Renault, de celui qui a servi la France sous les drapeaux, du regard des profs, du bruit des avions et de l’appartement qui tremble, d’une rencontre dans le métro, du travail chez les autres, du défrisage, de l’excision. Le voile provoque une vraie fausse bagarre, copie conforme à la réalité, à s’y méprendre. « Le rêve que j’ai en moi, c’est mon père qui me l’a transmis ». Les rêves de l’ailleurs et les gestes traditionnels observés et enregistrés, les signes et tatouages, la préparation de la mahjouba cette crêpe feuilletée venant d’Algérie, ma grand-mère « qui m’a appris l’arabe tandis que je lui ai appris à compter. » Leurs vérités sont énoncées, leurs utopies tracées. A mes enfants, « Ne pas transmettre ma peur du monde » dit l’une ; « Être une fille, une prison pleine d’amour » dit l’autre ; « Nos racines sont sur nos têtes », surenchérit une troisième. Et rien dans les livres d’histoire.

Elles sont d’une vivacité et d’une liberté à couper le souffle dans ce qu’elles disent et dans leur manière d’être sur le plateau : elle savent chanter, danser (Salia Sanou, chorégraphe) persiffler, se héler, émouvoir. Elles sont de flammes et de voix, des écorchées bien vivantes. Les récits qu’elles font de leurs vies et leur force pour avancer parlent d’altérité dans la France d’aujourd’hui. Quelques images les accompagnent, justes et bien dosées (Nicolas Clauss création vidéo).

Belle rencontre entre un auteur-metteur en scène et une parole libérée qui renvoie en miroir les heurts et malheurs d’une jeunesse éclatante. « Ma démarche artistique pose le postulat que l’art doit interroger le sens que nous donnons à notre existence et nous aider à mieux nous comprendre » dit Ahmed Madani. Il prépare pour l’automne 2018 un spectacle intitulé J’ai rencontré Dieu sur Face Book. A suivre de près. 

Brigitte Rémer, 31 octobre 2017

Avec Anissa Aou, Ludivine Bah, Chirine Boussaha, Laurène Dulymbois, Dana Fiaque, Yasmina Ghemzi, Maurine Ilahiri, Anissa Kaki, Haby N’Diaye, Inès Zahoré. Assistante à la mise en scène Karima El Kharraze – regard extérieur Mohamed El Khatib – création vidéo Nicolas Clauss – création lumière et régie générale Damien Klein création sonore Christophe Séchet chorégraphie Salia Sanou – costumes Pascale Barré et Ahmed Madani – coaching vocal Dominique Magloire et Roland Chammougom – photographie François-Louis Athénas – Le texte est publié aux éditions Actes Sud-Papiers.

Jusqu’au 29 octobre, Maison des Métallos, 94, rue Jean-Pierre Timbaud, 75011. Métro : Couronnes, Parmentier – Tél. : 01 47 00 25 20 – Site : www.maisondesmetallos.paris

Du 16 novembre au 17 décembre, Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, Route du champ de manœuvre. 75012 – Métro ligne 1, Château de Vincennes (sortie 6), puis bus 112 ou navette Cartoucherie – Tél. : 01 43 28 36 36 – Site :  www.la-tempete.fr

 

L’Histoire intime d’Elephant Man

© Nicolas Joubard

© Nicolas Joubard

Théâtre en solo écrit, conçu et interprété par Fantazio, à la maison des métallos.

En entrant dans la salle de spectacle transformée en café et encadrée de néons rouges, vous êtes invités à vous présenter au bar où vous est offert un cocktail avec ou sans alcool, avant de prendre place à l’une des tables. L’atmosphère est détendue et conviviale. Vous sirotez tranquillement quand Fantazio s’installe à sa table de travail à la manière d’un conférencier, ses notes sous le bras, bouteille d’eau à la main, micro sur table dans lequel il jette parfois un mot comme on le stabilote, ou comme on l’écrit en gras pour capter le regard.

Fantazio fait ses gammes entre les hauts sommets et les abysses comme une couturière s’attaque aux surpiqûres avec ses marche-avant marche-arrière. Il lance raisonnements et démonstrations le plus sérieusement du monde, non pas ex-catedra mais comme s’il se parlait à lui-même dans une sorte de rumination. Il digresse et se suspend dans les airs, parfois il redescend. C’est une soirée de montagnes russes, de pince sans rire, de polyglotte – entre italien et anglais – de lisse et de granuleux qu’il dessine en arabesques partant de la caverne, celle de l’enfance à mots couverts ou celle d’Ali Baba, voleur d’instants. De sa baignoire d’enfant-roi il éclabousse et se donne tous les pouvoirs, coincé dans sa bouée canard ; ou comme un sous-préfet aux champs qui inaugure la salle des fêtes, content de lui il recense ses bonnes actions et liste sa programmation ; ou encore du plus profond de ses illuminations, plonge au cœur de ses labyrinthes.

Dans les plis du réel Fantazio trace son histoire avec fantaisie, pointillés et déliés. Sans boussole, il saucissonne le temps au double décimètre, quadrille les conjugaisons et défait les chronologies de l’histoire. Il montre du doigt le formatage des villes, en invente de nouvelles qu’il transforme en appartements, à coups de baguette magique. Ainsi Montparnasse devient un long corridor qui relie le nord avec le sud. Fantazio musarde, s’éparpille avec détermination et s’émiette avec conviction, ébréchant les certitudes comme les tasses et vérines qu’il décrit et qui font fonction de cadran solaire.

L’absurde est au rendez-vous comme le monde à l’heure de l’amour numérique et du regard des autres, déjanté. Il donne un cours sur l’art de la conversation ou plutôt l’art de s’immiscer dans la conversation, surtout si l’on n’a rien à dire. Il compose une symphonie pour grincements de table et vocal, car de sa table il se lève pour mieux expliciter et démontrer, tourne autour, approche le public, se plante au sol puis se relève faisant le constat einsteinien on the beach que la tête est l’organe le plus éloigné du sol. Tout corps plongé dans un liquide…. souvenirs et réminiscences.

Auteur-compositeur-interprète-performeur et comédien, Fantazio a posé la contrebasse qui d’ordinaire l’accompagne et après l’extra-ordinaire des notes tombe dans l’onirisme du langage. Du à au sur il glisse sur les mots et parfois s’étale, surtout s’il met dans ses rouages de l’huile d’olive ou de l’eau de mer et se déploie à la manière d’une anémone sous-marine. Comme Pérec, un p’tit vélo à guidon chromé lui trotte dans la tête ou comme les oulipistes, il se joue des mots et tournicote le langage, lance son zéro dans l’infini et menace de confisquer les consonnes. Il est l’inventeur d’un banquet de quinze jours qui faute de moyens s’espace au fil du temps et, tel un vaisseau-fantôme, finit par se tenir tous les cent cinquante ou trois mille cinq-cents ans. Dos au public, face au micro sur pied posé dans un coin du plateau, par deux fois, il apparaît dans la peau d’Elephant Man, dans ses ténèbres et dans sa différence.

Fantasio amuse, trouble, s’ancre et se balance, découpe et froisse, entre le lourd wagon du passé, l’angle aigu du présent et un futur qui n’a pas de figure. Il sort par la salle au son des flonflons et rejoint le genre humain, pour le meilleur et pour le pire. Souhaitons-lui le meilleur, avec ces représentations.

Brigitte Rémer, 14 juillet 2016

Collaboration artistique Pierre Meunier – mise en lumière Hervé Frichet – rapport sonore Emile Martin – production : théâtre L’Aire Libre, festival Mythos/CPPC, Rennes, la Triperie, Montreuil.

Du 12 au 16 juillet 2016, à 19h – la maison des métallos – 94 rue Jean-Pierre Timbaud. 75011– Métro : Goncourt. Tél. : 01 47 00 25 20 – Site : maisondesmetallos.org